A l'aube de la neuro-amélioration ?

Plusieurs études ont déjà montré que les techniques de stimulation cérébrale non invasive (“Non Invasive Brain Stimulation” ou NIBS), telles que la stimulation magnétique transcrânienne répétitive (rTMS) ou les techniques de stimulation électrique (tDCS ou tES) sont capables de modifier la perception, la cognition, l’humeur et même les activités motrices tant chez les personnes en bonne santé que chez les patients.

Les NIBS sont ainsi régulièrement utilisées pour leur potentiel d’amélioration des performances humaines dans divers domaines tels que la compétition sportive, les évaluations universitaires, les performances musicales, etc. Les effets à long terme des NIBS utilisés pour ces raisons, en absence de finalité médicales, n’ont pas encore été pleinement explorés. Si la neuro-amélioration (appelé “neuroenhancement” en anglais) est considérée par certains (notamment les transhumanistes) comme une voie d’avenir pour améliorer les capacités de l’être humain, elle est également source d’inquiétude.


Chez des individus en bonne santé, le neuroenhancement fait référence aux interventions et aux technologies conçues pour améliorer les performances cognitives humaines au-delà de ce qui est considéré comme “physiologiquement normal”. Ces interventions peuvent aller des boissons à haute teneur en caféine, à la nicotine, en passant par des techniques plus sophistiquées telles que les NIBS. Elles sont a distinguer des techniques de neurodopage qui, elles, utilisent ces dispositifs pour améliorer des capacités physiques (force, endurance, résistance à la douleur, etc.)


Une vaste étude européenne montre que l’acceptabilité des NIBS est importante lorsqu’elles sont appliquées à des fins thérapeutiques, alors que ces techniques sont plus critiquées lorsqu’elles sont utilisées sur des individus en bonne santé. La majorité des participants à l’enquête pense cependant qu’il est nécessaire de favoriser les études sur ce sujet, d’autant plus que ces techniques sont déjà utilisées “dans la vrai vie” par des gens qui désirent optimiser leurs performance, avec toutes les dérives que cela peut entrainer comme on peut le voir sur les réseaux sociaux ou de nombreuses personnes s’échangent des astuces et des avis sur des dispositifs régulièrement sans marquage CE, voir même parfois des schémas pour construire eux-mêmes des appareils de façon artisanale à l’aide de fils électriques et de piles 9 volts...

En 2016, la Fédération internationale de neurophysiologie clinique (IFCN) a mis en garde contre l’auto-application (à domicile) des tES “DIY” (do-it-yourself). Fin 2022, la commission européenne a d’ailleurs adopté deux règlements concernant les dispositifs de neurostimulation sans finalité médicale en les reclassifiant en classe III, autrement dit ces dispositifs doivent montrer le plus haut niveau de sécurité requis, au même titre que des dispositifs beaucoup plus invasifs tels que les stimulateurs intracérébraux, les pompes cardiaques, les prothèses, etc. Les règles pour l’obtention d’une telle certification étant beaucoup plus strictes et restrictives, cela va faire disparaitre du commerce de nombreux dispositifs utilisée dans un but de neuro-amélioration.


En mai 2022, un article parut dans Clinical Neurophysiology Practice (une revue non rankée, mais indexée sur pubmed et journal officiel de l’International Federation of Clinical Neurophysiology IFCN) et écrit par un collectif composé de plusieurs experts en neurostimulation (Brunoni, Antal, Paulus, etc.) se propose de faire une revue de la littérature sur ce sujet. Si l’on regrettera que cette revue ne suive pas la méthode PRISMA pour avoir une bonne visibilité sur les critères d’inclusion / exclusion et le nombre d’article screené / inclus, on reconnaitra tout de même la rigueur du travail et sa quasi-exhaustivité sur un sujet qui peut potentiellement être considéré comme une “niche” pour ultra spécialistes.


Concernant les hypothèses permettant d’expliquer comment et pourquoi les NIBS peuvent améliorer les capacités cognitives, les auteurs expliquent plusieurs théories : d’abord il pourrait être possible d’imaginer que le cerveau fonctionne comme un jeu à somme nulle, autrement dit, qu’il y a des capacités de ressources finie, et donc que les NIBS permettraient d’allouer plus de ressources sur certaines tâches, quitte à en inhiber d’autres (l’utilisation de la rTMS dans la rééducation du membre supérieur en post-AVC est d’ailleurs en partie basée sur ça : l’inhibition de la zone motrice controlatérale de la lésion “libère” des ressources pour améliorer la rééducation de la zone lésée).

Une autre théorie est basée sur l’apprentissage : les NIBS permettraient de moduler les capacités d’apprentissages, raison pour laquelle leur effet est très dépendant du niveau initial de l’individu sur un sujet (à titre d’exemple un maestro avec une marge d’apprentissage très limitée pourrait moins bénéficier des NIBS que quelqu’un avec une très grande marge). Cette théorie est finalement assez proche de ce qui se dit parfois de l’effet de la rTMS sur les facteurs de croissance cérébraux tels que le BDNF dont on dit souvent que leur libération au cours de la cure va permettre la création de nouveau réseau / nouvelles connections, et que c’est donc un moment propice pour “apprendre” au cerveau de nouveaux comportements et de nouveaux schémas de pensée.

Enfin une dernière théorie considère que les NIBS pourraient avoir des effets sur le rééquilibrage des niveaux d’activité anormaux entre certains réseaux impliqués dans les tâches demandées. Les effets des NIBS dépendent de l’état, étant fortement influencés par l’activité en cours de la région ciblée au moment de la stimulation. La rTMS aurait ainsi la possibilité de moduler transitoirement des opérations cognitives et des comportements spécifiques.


Lorsque l’on compare les NIBS aux substances “psychostimulantes” telles que la nicotine et la caféine, ces techniques leurs sont largement supérieures. A titre d’exemple, la performance aux examens n’a jamais été corrélée à la consommation de nicotine (à l’inverse de l’anxiété liée aux examens qui lui est positivement corrélée), d’autant plus que l’impact de la nicotine sur les performances cognitives est affecté de manière très importante par l’état de tabagisme habituel : chez les non-fumeurs, la prise aiguë de nicotine dégraderait les fonctions exécutives et l’apprentissage moteur, tandis que chez les fumeurs habituels s’est la privation de nicotine qui dégrade l’apprentissage exécutif et moteur par rapport aux non-fumeurs (avec une inversion des déficits cognitifs en cas de nouvelle exposition à la nicotine). Autrement dit, chez les humains sains et non fumeurs, la nicotine n’a probablement pas d’effets neuro-améliorants mais plutôt des effets aggravant les performances, alors que les fumeurs chroniques, eux, en auraient besoin pour fonctionner “normalement”.

La caféine bloque les récepteurs de l’adénosine (qui ont des effets inhibiteurs prédominants) ce qui entraîne une augmentation de la vigilance et de l’attention. Peu d’études ont évalué les effets combinés de la caféine avec la stimulation. La plupart des données sur les effets de la caféine sont basées sur des boissons énergisantes avec des effets confondants liés aux autres ingrédients. En ce qui concerne l’humeur, il a été démontré que la caféine a un effet péjoratif sur l’anxiété (mais pas sur les autres domaines de l’humeur) et en ce qui concerne les performances cognitives, il semble que la caféine améliore la vitesse de traitement, mais pas l’attention générale et l’attention soutenue. Par ailleurs, en cas d’association à une NIBS, la caféine mobilise le calcium intracellulaire qui joue à son tour un rôle distinct dans la détermination des effets type LTD ou LTP. Dans une étude comparative directe, la tDCS aurait démontré un effet plus puissant que la caféine sur la fatigue. Par ailleurs la variabilité des effets de plasticité dans les études en tES peut être accentuée par une consommation incontrôlée de caféine : les effets normalement excitateurs d’une tACS (1 mA à 140Hz) ont été transformés en effets inhibiteurs par la prise préalable d’un espresso et cet effet était également retrouvé (a un niveau moindre) avec un espresso décaféiné (possiblement lié à la caféine résiduelle contenu dans le décaféiné ou potentiellement lié à une des autres molécules contenu dans le café)


Concernant l’intelligence et la créativité, quelques études ont combiné les NIBS avec un entraînement cognitif et ont observé une amélioration de l’intelligence fluide, certaines études retrouvant une supériorité de la tDCS et de la tRNS sur la tACS, tandis que d’autre retrouvaient l’inverse (avec une amélioration des performance sous tACS et au contraire une dégradation avec de la tDCS préfrontale bilatérale ou le sham). Certaines études qui se sont intéressées à la créativité ont montré que la tDCS pouvait moduler la “créativité” (mesurée avec des tâches évaluant certaines formes d’attention centrée sur soi, le vagabondage de l’esprit, le contrôle inhibiteur et la pensée divergente et convergente, etc.) suggérant que la stimulation pourrait “libérer” la créativité en modulant les cortex temporaux et préfrontaux bilatéraux (en plaçant la cathode sur le cortex gauche et l’anode sur le cortex droit, autrement dit le montage inverse de celui utilisé pour traiter la dépression). En effet, selon ces études, un “déplacement” de l’équilibre interhémisphérique entraînant une prédominance de l’hémisphère droit sur l’hémisphère gauche pourrait favoriser la créativité. Cependant, des études récentes de neuro-imagerie suggèrent qu’un placement de l’anode à gauche pourrait augmenter la créativité verbale (mesurée par des tâches de pensée convergente et divergente, la sélection d’idées et le raisonnement). Les résultats restent cependant divergents avec et les paramètres peu déterminés (on retrouve des études en tDCS négatives, d’autres utilisant la tACS positives ou négatives, etc.). Enfin, associer les NIBS à des entraînements cognitifs et comportementaux pourrait être nettement plus efficace qu’une stimulation isolée. La encore, les individus dont la performance était plus faible au départ peuvent être plus susceptibles de connaître des gains de performance que ceux dont la performance de départ était plus forte.


Concernant l’apprentissage moteur, plusieurs études sur la rTMS appliquée sur l’aire motrice pré-supplémentaire (preSMA) montrent une amélioration. des performances. De même, l’application de la tDCS sur M1 pourrait accélérer l’apprentissage implicite (comparativement à une stimulation appliquée sur le cortex préfrontal ou le cortex frontal médian, ou à une stimulation sham). Cependant les résultats restent très hétérogènes concernant la tDCS, et aucune recommandation claire ne peut être établie. Nous vous renvoyons à l’article sur le neurodopage (cf. supra) pour plus de détails.


Concernant les troubles cognitifs des sujets âgés, qu’ils soient atteints de maladie d’Alzheimer (MA), de troubles cognitifs légers (MCI) ou même d’un simple vieillissement “normal” qui est lui-même est associé à un déclin progressif des fonctions cognitives, et vu l’absence de traitement pharmacologiques pertinents, la remédiation cognitive, l’activité physique, les compléments alimentaires et les techniques de NIBS intéressent de plus en plus. Une remédiation cognitive couplée à une tDCS anodale sur le DLPFC gauche a montré des effets bénéfiques pour plusieurs sous-domaines du dysfonctionnement cognitif chez les patients atteints de MCI ou de MA, et il en est de même en cas de couplage à une tDCS anodale sur le cortex temporo-pariétal droit avec des effets positifs sur la mémoire de localisation d’objets chez les patients atteints de MCI. Cependant la variabilité des effets des NIBS chez les personnes âgées peut être plus importante en raison de l’atrophie cérébrale liée au vieillissement et l’augmentation du LCR intracrânien entraîne une distribution plus large du courant ce qui rend l’utilisation de ces techniques encore incertain.

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